Luis Inacio Lula da Silva prononce, dimanche, un discours devant le Forum économique mondial.
Certaines passerelles peuvent être glissantes. Celle que Luis Inacio Lula da Silva, ex-leader syndical et président du Brésil depuis le 1er janvier, s'apprête à jeter entre Porto Alegre, où se tient le 3e Forum social mondial, et Davos, siège du Forum économique mondial, présente, selon ses détracteurs, de sérieux risques de dérapages. En décidant de se rendre en Suisse après une escale dans la capitale du Rio Grande do Sul, le président brésilien a en effet semé le trouble, voire l'indignation, chez certains de ses partisans.
Vendredi 24 janvier, dans l'amphithéâtre du "Coucher du soleil" aménagé sur la berge du rio Guaiba, à Porto Alegre, Lula s'en est expliqué devant une foule considérable (estimée à 80 000 personnes) et très cosmopolite. "Bien des gens qui sont à Davos, a-t-il lancé, ne m'aiment pas sans me connaître". Dimanche 26 janvier, l'ancien ouvrier doit y prononcer un discours destiné aux représentants d'un système économique dont il a été, jusqu'à la dernière campagne électorale, un pourfendeur implacable. Son périple devrait prendre fin sur une visite officielle à Berlin (le 27), puis à Paris, le lendemain.
Au cours des deux précédentes éditions du Forum social, celui qui n'était encore que le candidat du Parti des travailleurs (PT) à la présidence incarnait, dans une ville administrée depuis quatorze ans par son parti, cet "autre monde possible" rêvé par les opposants à la mondialisation mercantiliste dont Davos est devenue la caricature. Elu, Lula estime désormais qu'il faut se garder des préjugés et savoir faire face aux critiques.
A cet égard, il a pris le temps de rappeler à ses sympathisants qu'il avait opté, durant la dictature militaire (1964-1985), pour l'engagement syndical malgré l'obéissance due - il risquait de passer pour un "jaune"- au code du travail hérité d'un corporatisme de type mussolinien. Puis qu'il avait fait la sourde oreille à ceux qui lui déconseillaient, sous prétexte qu'une formation politique ne pouvait, historiquement représenter une classe sociale au Brésil, de promouvoir la fondation, célébrée en 1980, du Parti des travailleurs. Le voyage à Davos s'inspire du même raisonnement forgé par l'expérience.
Que va-t-il y dire ? Qu'il est inconcevable de "perpétuer un système qui fait que certains mangent cinq fois par jour et que d'autres passent cinq jours sans manger" ; que "les enfants noirs ont autant le droit de se nourrir que ceux aux yeux bleus des pays nordiques" ; que "le monde n'a pas besoin de guerre mais de paix" et qu'il "serait plus heureux si les dépenses d'armements servaient à "tuer" la faim". Thème principal de ses dernières déclarations, l'éradication de la malnutrition, qui affecte, a-t-il précisé, 45 millions de Brésiliens, est la priorité première proclamée de son gouvernement.
PRESSION SUR LE REAL
Approuvée par José Bové, leader de la Confédération paysanne et figure de la réunion annuelle de Porto Alegre depuis son expulsion du Brésil, il y a trois ans, consécutive à l'arrachage d'un champ expérimental de soja transgénique, la décision du président brésilien de participer aux deux forums, généralement décrétés antagonistes, a cependant déclenché un violent tir de barrage chez nombre de personnalités locales ayant pris une part active à la création du Forum social.
Sociologue et collaborateur du Monde diplomatique, Emir Sader s'est ainsi récemment fait, dans une lettre ouverte, le porte-parole de leur désarroi. "Lula ne doit pas aller à ce banquet des responsables de la misère du monde ; il ne doit pas apporter son prestige à cette fête de banquiers responsables de politiques qui engendrent la faim en Afrique et en Asie, en Amérique latine et ici même au Brésil. Lula, clame-t-il, ne peut se trouver de l'autre côté de la barricade."
Président du conseil d'administration de Sadia, un colosse de l'agribusiness national, Luis Fernando Furlan, ministre brésilien du développement de l'industrie et du commerce, qui accompagne le président à Davos, est d'un tout autre avis. "Le principal dividende de ce voyage, dit-il, va être la formation d'un crédit qui pourra réduire le "risque-Brésil", atténuer les restrictions aux investissements étrangers et déboucher, par la suite, sur une baisse des taux d'intérêt." Dès l'ouverture du Forum économique, Anne Krueger, numéro 2 du Fonds monétaire international (FMI), s'est d'ailleurs félicitée de constater que le nouveau gouvernement, lié par un accord avec l'organisme multilatéral courant jusqu'à la fin de l'année, "s'en sort bien jusqu'ici".
Il n'en reste pas moins que la menace d'une guerre imminente en Irak et le reflux de capitaux qu'elle provoque sont en train de remettre la pression sur le real. Vendredi, en baisse de 2,80 %, à 3,62 reals pour un dollar, la devise brésilienne a atteint son plus bas niveau face au billet vert depuis l'élection de Lula.
Jean-Jacques Sévilla
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