Au bout du compte, c'est sa femme qui a emporté le morceau. A 39 ans, Ding Hong, Chinois naturalisé américain, faisait une belle carrière au département de physique de Boston College, où il avait décroché le poste que tout chercheur digne de ce nom convoite aux Etats-Unis, la fameuse "tenure", nirvana de l'universitaire : une chaire à vie.
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Pour la petite famille Ding, la vie rêvée s'écoulait paisiblement dans la verdure du Massachusetts, entre la grande maison de Needham, l'école de leur petite fille, les voisins, les amis, et les recherches du professeur sur la supraconductivité, qui le comblaient. Mme Ding avait trouvé un bon job dans une entreprise de logiciels de la route 128, la Silicon Valley locale. Jolie réussite, pour un jeune homme débarqué en 1990 à Chicago avec deux mots d'anglais, trois sous en poche et une grosse désillusion, celle du Printemps de Pékin, écrasé dans le sang le 4 juin 1989. Il était alors étudiant à Shanghaï.
"C'est un sujet sensible", dit-il aujourd'hui du massacre de la place Tiananmen, en se balançant sur son siège dans son bureau de l'Institut de physique de l'Académie des sciences de Chine, à Pékin. "Oui, à l'époque, ça a joué un rôle dans ma décision de partir."
C'était il y a dix-huit ans. Sans le savoir, le jeune Ding Hong faisait partie d'un mouvement lancé en 1978 par Deng Xiaoping, qui décida d'envoyer, ou de laisser partir, des milliers d'étudiants chinois dans les universités occidentales. Ces milliers devinrent des dizaines de milliers, puis des centaines de milliers, dont une grande partie, séduits par les possibilités offertes en Occident, choisirent de ne pas revenir. De loin, cela ressemblait à une gigantesque fuite des cerveaux.
Puis Pékin a amorcé le mouvement de retour. Au tournant des années 2000, les diplômés se sont mis à revenir massivement en Chine ; depuis 2008, la crise américaine a accentué la tendance. Leur rôle dans la croissance économique et la création d'entreprises est connu. Il l'est moins dans le secteur scientifique.
La Chine ne veut pas être que l'atelier du monde, elle a aussi l'ambition de devenir un foyer d'innovation. Pour cela, il lui faut recruter des scientifiques de haut niveau. Convaincu qu'il ne rentrerait jamais, Ding Hong n'était pas prêt. Par deux fois, il refuse une proposition chinoise, avec des conditions financières intéressantes. "La disparité des salaires, l'idée de gagner beaucoup plus que mon collègue du bureau d'à côté, ça me gênait."
L'événement déclencheur va être la décision de la Fondation nationale scientifique américaine, qui subventionnait ses recherches au Boston College, de suspendre son financement pendant un an, dans le cadre de mesures d'économie. Hongkong lui fait alors une offre, Boston College fait une contre-proposition. Puis l'Académie des sciences chinoise surenchérit. "Globalement, c'était celle-ci la meilleure offre, en termes de recherche et de financement, beaucoup plus important. Ici, je peux me concentrer sur mon travail scientifique fondamental." Sa femme le pousse à accepter. Il rentre en août 2008.
Depuis, pas une ombre au tableau, juré. Sa fille de 11 ans est à l'école internationale, "une vraie école américaine", elle est heureuse. Et lui, pas de difficulté d'adaptation ? "Je suis chinois, je connais la langue, la culture." Ses nouveaux collègues chinois l'ont bien un peu interrogé sur son salaire - "alors, tu vas faire le travail de dix personnes ?" - mais ce qu'ils voulaient surtout savoir, c'est pourquoi il était rentré. Le fait est qu'en volume, il a dix fois plus de travail qu'à Boston, et ne se couche pas avant 3 heures du matin, mais il a aussi plus de gens pour l'aider.
Aujourd'hui, tous les postes de dirigeants dans la recherche scientifique sont occupés par des chercheurs revenus de l'étranger. "L'impact de ces retours est fondamental, observe Stéphane Grumbach, qui dirige un laboratoire d'informatique franco-chinois à l'Académie des sciences. Il y a un grand climat de liberté intellectuelle. Mais ce qui manque le plus, ce n'est pas le talent, c'est la culture scientifique, l'éthique, la discipline, le respect des idées fortes."
Ding Hong pense que "la Chine peut devenir un pays leader en physique. Actuellement, les Etats-Unis sont numéro un dans le domaine de la science. Nous, nous voulons renforcer la science en Chine". Une démarche patriotique, en somme ? Il réfléchit un moment, puis répond : "On peut dire ça comme ça."
Pour autant, il n'a pas renoncé à sa nationalité américaine, "plus pratique pour voyager" et il voyage beaucoup. Premier Prix Nobel de physique chinois, ça lui plairait ? Un sourire modeste traverse son visage - "ce n'est pas quelque chose que l'on demande..." Là, pour sûr, il faudrait qu'il abandonne son passeport américain.
POST-SCRIPTUM. Zhou Yongjun, 41 ans, est aussi rentré des Etats-Unis récemment, mais dans des conditions nettement moins favorables. En 1989, il était l'un des meneurs des protestations étudiantes sur la place Tiananmen : quatre ans de prison. En 1993, il est parti pour les Etats-Unis. En 1998, premier retour en Chine, trois ans de rééducation dans un camp de travail, nouveau départ pour la Californie en 2002. Le 30 septembre 2008, il a été appréhendé à la frontière entre Hongkong et Shenzen. Il tentait de revenir en Chine pour voir son père malade. On vient seulement d'apprendre qu'il est détenu sous l'accusation de fraude financière.
Sylvie Kauffmann
Courriel : lettredasie@lemonde.fr
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