L'onde de choc de l'effondrement des tours du World Trade Center n'a d'évidence guère ébranlé l'antiaméricanisme à fleur de peau de la grande majorité des quelque 5 000 participants au 2e Forum social mondial, qui s'est achevé lundi 4 février à Porto Alegre, siège déjà désigné de l'édition 2003. "Le 11 septembre a produit un changement radical. Après les attaques terroristes - que nous condamnons comme nous condamnons toutes les attaques contre les civils partout ailleurs dans le monde -, le gouvernement des Etats-Unis et ses alliés ont lancé une opération militaire massive au nom de la guerre contre le terrorisme. (...) La guerre terroriste contre l'Afghanistan est en train de s'étendre sur d'autres fronts. C'est le début d'une guerre planétaire permanente pour consolider la domination du gouvernement américain et de ses alliés. Cette guerre révèle une autre face du néolibéralisme, brutale et inacceptable", déclarent les représentants de mouvements sociaux d'une centaine de pays, dans un "appel" en 16 points aux allures de déclaration finale officieuse, diffusé à la fin du Forum.
"Dans ses efforts pour protéger les intérêts des grandes compagnies, poursuit le texte, le gouvernement américain a tourné le dos avec arrogance aux négociations sur l'effet de serre, au traité ABM -Anti-Ballistic Missile- de 1972, à la Convention sur la biodiversité, à la Convention de l'ONU sur le racisme, et a montré, une fois de plus, qu'il résolvait unilatéralement les problèmes mondiaux." Presque tous les thèmes abordés dans les conférences et ateliers (dette des pays pauvres, commerce mondial, zone de libre-échange des Amériques prévue pour 2005, organisations multilatérales, environnement, biodiversité, organismes génétiquement modifiés, etc.) ont débouché sur la condamnation de la politique de l'administration Bush et des multinationales américaines.
CIBLES DESIGNEES
Deux Prix Nobel de la Paix se sont fait les porte-parole des critiques tous azimuts adressées aux Etats-Unis. "Aujourd'hui, les armes ont gagné, les bombes ont gagné, l'absence de dialogue a gagné et, pour cette raison, les organisations qui pourraient garantir une médiation ont été affaiblies", a affirmé la Guatémaltèque Rigoberta Menchu (lauréate en 1992) en se référant aux Nations unies. L'Argentin Adolfo Perez Esquivel (1980) a renchéri : " -L'ONU- est un organisme soumis au pouvoir hégémonique des Etats-Unis, dont le but est d'être un tribunal militaire pour pourchasser ceux qu'ils définissent comme étant des terroristes". Il a par ailleurs dénoncé la volonté de Washington de "remilitariser le continent sud-américain"par le biais du Plan Colombie de lutte contre le narcotrafic. Le linguiste et militant politique américain Noam Chomsky a pourfendu l'escalade militaire intervenue après le 11 septembre, estimant qu'on avait "utilisé" les attentats pour augmenter le budget de la défense, "ce qui n'a rien à voir avec le terrorisme".
Les organisations multilatérales, considérées comme inféodées aux Etats-Unis, ont également constitué des cibles toutes désignées. Tenu pour responsable de la faillite argentine, le Fonds monétaire international (FMI) a catalysé les attaques contre le fonctionnement du système financier mondial, qui favorise toutes les dérives spéculatives, notamment les retraits massifs de capitaux à l'origine des crises asiatique, russe et brésilienne entre 1997 et 1999. Pour le député européen Harlem Désir (PS), intervenant au Forum parlementaire mondial (plus de 1000 élus de 40 pays), le réseau international en cours de formation doit permettre "d'exercer une pression simultanée tant sur les pays du Nord que sur ceux du Sud pour (...) obliger les gouvernements à s'engager sur une taxe internationale" sur les transactions financières.
Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération, a d'ailleurs annoncé que la France proposerait l'adoption d'une telle mesure lors de la Conférence sur le financement du développement, qui aura lieu le 22 mars à Monterrey (Mexique). Quant à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), selon le Malaisien Martin Khor, de Third World Network, elle "ne soutient pas le libre-échange, bien qu'elle ait obligé les pays pauvres à ouvrir leurs économies au libéralisme, mais est un levier de protectionnisme des pays riches".
Dans le même esprit, Eric Toussaint, du Comité pour l'annulation de la dette du tiers-monde (CADTM), a rappelé que cette créance totalise 2 000 milliards de dollars, alors que celle des Etats-Unis atteint, à elle seule, 5 000 milliards de dollars.
Babette Stern et Jean-Jacques Sévilla
Edition du 5 février 2002.